Pouvoir pastoral : sens et enjeux cachés
Pratiques pastorales

Pouvoir pastoral : sens et enjeux cachés

Découvrez la signification du pouvoir pastoral et son influence discrète sur les sociétés modernes à travers l'histoire et la pensée critique.

Le 19/10/2025 par Bastien Berger

À première vue, le pouvoir pastoral semble n’être qu’un concept ancien, hérité du vocabulaire religieux. Pourtant, derrière cette expression se cache un mécanisme d’influence subtil, toujours à l’œuvre dans nos sociétés modernes. Mais que signifie réellement le mot-clé pouvoir pastoral définition ? Et pourquoi ce concept, forgé par Michel Foucault à partir des pratiques chrétiennes de gouvernement des âmes, est-il si essentiel pour comprendre les formes contemporaines de contrôle social ?

Ce pouvoir, qui prend racine dans la relation du berger à son troupeau, ne s’exerce pas par la force mais par le souci, la guidance, l’attention individualisée. Il s’est transformé, infiltrant les sphères laïques : éducation, médecine, travail social, management… Là où l’on prétend « prendre soin », se joue parfois une forme de surveillance douce, intériorisée, acceptée. En explorant ses origines, ses mutations et ses implications actuelles, cet article propose de lever le voile sur un pouvoir omniprésent mais souvent invisible — celui qui gouverne non par la loi, mais par la norme, l’écoute et le souci du bien individuel.

Définir le pouvoir pastoral : origines chrétiennes et spécificités selon Foucault

Le pouvoir pastoral trouve son origine dans la tradition chrétienne, où le pasteur incarne celui qui guide, veille et se sacrifie pour son troupeau. Ce pouvoir ne s’exerce pas par la force ou la loi, mais par une relation personnelle et continue avec chaque individu. Il repose sur une logique de care avant la lettre : prendre soin, accompagner, sauver l’âme plutôt que punir le corps.

Ce modèle de pouvoir, apparemment doux, a retenu l’attention de Michel Foucault. Pour lui, le pouvoir pastoral est une forme de gouvernementalité bien différente du pouvoir souverain. Là où le souverain impose par le haut, le pasteur s’introduit dans la vie intime de chacun pour orienter ses pensées, ses choix, ses comportements. Il ne gouverne pas seulement un groupe, mais chaque personne, dans sa singularité.

Foucault identifie plusieurs traits fondamentaux du pouvoir pastoral :

  • Individualisation : chaque fidèle est connu, suivi, pris en charge personnellement.
  • Souci du salut : le but est d’assurer le bien ultime de l’individu, au-delà de sa simple conformité aux règles.
  • Surveillance continue : le contrôle ne s’arrête jamais, il est constant, souvent intériorisé.
  • Obéissance volontaire : le pouvoir pastoral agit en incitant chacun à se gouverner lui-même “pour son bien”.

Ce type de pouvoir, selon Foucault, ne disparaît pas avec la sécularisation : il se transforme. Il infuse les institutions modernes (écoles, hôpitaux, services sociaux) et contribue à forger des individus “responsables”, mais aussi surveillés, analysés, encadrés. Le pouvoir pastoral, loin d’être un vestige religieux, est devenu un outil discret mais puissant de gestion des vies.

Du soin des âmes à la gestion des vies : mutations contemporaines du pouvoir pastoral

Longtemps cantonné au domaine religieux, le pouvoir pastoral a peu à peu quitté la chaire pour s’infiltrer dans les rouages de nos sociétés modernes. Ce mouvement, amorcé dès l’époque moderne, a transformé le soin des âmes en une gestion des vies — plus discrète, mais tout aussi puissante.

Dans les institutions contemporaines, le pouvoir ne se limite plus à punir ou interdire. Il oriente, conseille, évalue. L’école, l’hôpital, l’entreprise ou les services sociaux adoptent des logiques pastorales : ils prennent soin, suivent les parcours individuels, encouragent l’auto-amélioration. Ce n’est plus l’obéissance qui est exigée, mais la conformité intérieure, un alignement volontaire avec les normes.

Le citoyen moderne devient ainsi une sorte de fidèle laïc, invité à se surveiller lui-même, à optimiser sa santé, sa productivité, son comportement. L’État, à travers ses politiques publiques, s’érige parfois en « nouveau pasteur », non pas en imposant, mais en orientant subtilement les choix individuels. On parle alors de gouvernementalité, ce mode de gestion des populations qui agit en douceur, sous couvert de bienveillance.

Ces mutations ont aussi été accélérées par les technologies numériques. Les applications de santé, les plateformes de formation ou les réseaux sociaux participent à cette auto-pastoralisation : chacun devient le guide de sa propre existence, sous un regard algorithmique permanent.

Le passage du spirituel au social n’a donc pas effacé le pouvoir pastoral. Il l’a déplacé, transformé et parfois même renforcé. Ce pouvoir ne cherche plus tant à sauver les âmes qu’à produire des individus responsables, performants, et conformes — un objectif moral, mais désormais profane.

Les enjeux éthiques et politiques du pouvoir pastoral dans les sociétés modernes

Dans nos sociétés modernes, le pouvoir pastoral ne se limite plus au domaine religieux : il s’est glissé dans les rouages de l’État, des institutions sociales, de la médecine, de l’éducation ou même du management. Ce glissement pose des questions éthiques et politiques fondamentales, car il redéfinit subtilement les rapports entre pouvoir et liberté.

Ce pouvoir agit non par la force, mais par la sollicitude. Il propose, il conseille, il encourage… mais il oriente aussi, surveille et façonne les comportements. On retrouve cette logique dans les politiques de santé publique, les dispositifs d’accompagnement social ou les techniques de gestion des ressources humaines. Sous prétexte de « prendre soin », on peut en réalité guider les choix individuels dans une direction jugée « bonne » par une autorité extérieure.

Les enjeux sont nombreux :

  • Autonomie vs contrôle : Jusqu’où peut-on accompagner sans diriger ? À quel moment l’aide devient-elle une forme de normalisation ?
  • Responsabilisation individuelle : Le pouvoir pastoral pousse chacun à s’auto-surveiller, à se conformer aux normes sans contrainte directe. Cela peut renforcer l’autonomie, mais aussi la culpabilité ou l’auto-censure.
  • Transparence et consentement : Dans un monde où l’on est guidé en permanence, la frontière entre conseil bienveillant et manipulation devient floue. Qui décide de ce qui est bon pour nous ? Et sur quelle base ?

Ainsi, ce pouvoir doux mais omniprésent repose sur une tension permanente : il prétend vouloir le bien de chacun, mais il peut aussi étouffer la pluralité des existences. Dans un contexte de surveillance croissante et de gouvernance par les données, interroger les formes contemporaines du pouvoir pastoral revient à défendre une idée exigeante de la liberté.

Le pouvoir pastoral, loin de se limiter à son origine religieuse, s’est insidieusement diffusé dans les structures modernes du pouvoir. D’abord axé sur le salut des âmes, il s’est transformé en un dispositif de gestion individualisée des comportements, fondé sur la surveillance bienveillante et l’incitation à l’auto-discipline. Comprendre la définition du pouvoir pastoral, c’est donc saisir comment les institutions contemporaines — de l’école à l’entreprise, en passant par l’État — reproduisent des logiques d’assistance, de guidance et de normalisation.

Cette forme de pouvoir, douce en apparence, soulève des questions cruciales : jusqu’où peut aller le souci de notre bien ? Qui détermine ce qui est bon pour nous ? À l’heure où les technologies de contrôle prédictif et les politiques de santé publique se généralisent, interroger les ressorts du pouvoir pastoral devient essentiel pour préserver notre autonomie. En définitive, il ne s’agit pas seulement de démasquer une forme subtile de domination, mais aussi de repenser la manière dont nous sommes gouvernés… et nous nous gouvernons nous-mêmes.

Pouvoir pastoral : sens et enjeux cachés

Crédits photo : Shutterstock / V. Joly

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Bastien Berger

Éleveur de formation, je suis devenu Rédacteur Bêê-stseller par passion pour les mots et l'élevage. Mon métier me permet de conjuguer ma plume agile et ma connaissance du pastoralisme, pour vous offrir des articles de qualité sur le monde du pastoralisme.
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